Par Julien Marchal et Damien Mathon
Conformément au programme présidentiel, le Gouvernement a mis en débat cet été un projet de loi visant à accélérer le déploiement des énergies renouvelables.
La sécheresse historique de l’été et les températures records du mois d’octobre matérialisent l’urgence à agir et à se passer des énergies fossiles. La guerre en Ukraine également, car elle met en évidence notre extrême dépendance aux pays autoritaires qui produisent ces énergies fossiles. Dans ce monde géopolitiquement instable et chaque jour plus chaud, le développement des énergies renouvelables est crucial. Leurs avantages sont multiples et connus : plus rapides à déployer que le nucléaire, décarbonées, économiquement compétitives, elles s’inscrivent donc naturellement dans un agenda de transition exigeant et compatible avec la neutralité carbone.
Pourtant, la France est en retard sur ses objectifs européens de déploiement d’énergies renouvelables. Nous sommes un des pays où le temps de développement d’un projet renouvelable est parmi le plus long : plus de 10 ans pour un parc éolien en mer, 7 à 8 ans pour un parc éolien terrestre ou de la géothermie profonde, 4 à 5 ans pour un parc solaire au sol, 1 à 2 ans pour une toiture solaire, 5 ans pour un réseau de chaleur… Le besoin d’accélérer est réel.
Après sa première lecture au Sénat, la plupart des dispositions du projet de loi vont dans le bon sens. Mais plusieurs mesures qui ont été ou ont failli être introduites constituent des dangers réels que le projet de loi au final ne ralentisse le déploiement des énergies renouvelables plutôt que de l’accélérer.
En vue de l’examen par l’Assemblée nationale, nous proposons ci-après un état des lieux des mesures positives, des mesures manquantes et des mesures contre productives introduites ou qui ont failli l’être.
Les mesures positives
Tout d’abord, il convient de rappeler que le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables présenté par le Gouvernement n’abordait pas la question des délais d’instruction, ni de l’articulation des projets d’énergies renouvelables avec le code de l’environnement, l’urbanisme, le patrimoine, les contraintes militaires… Il s’agissait d’un projet de loi qui organise la planification (mesures sur l’éolien en mer), ouvre du foncier pour le solaire et donne aux ENR un statut d’intérêt public majeur qui renforcera la solidité des autorisations en cas de contentieux. Le passage au Sénat a permis des améliorations significatives et notamment d’insérer des mesures pour cadrer certains délais d’instruction.
Ainsi avant son passage à l’Assemblée nationale, les principales mesures positives du projet de loi sont
- La possibilité de déroger à la loi littorale et la loi montagne pour les projets solaires sur sites dégradés,
- La simplification de la manière d’insérer les énergies renouvelables dans les documents d’urbanisme,
- L’explicitation de la manière dont les projets d’énergies renouvelables comptent dans l’atteinte de l’objectif de zéro artificialisation nette,
- Le cadrage de plusieurs délais d’instruction,
- La présomption d’intérêt public majeur pour tous les projets d’énergies renouvelables,
- L’insertion d’une définition de l’agrivoltaisme,
- La simplification de certaines procédures de raccordement, notamment pour les petites installations,
- L’obligation d’installer des ombrières solaires sur tout parking de plus de 80 places (hors parking poids lourds),
- Le renforcement des obligations d’installations de panneaux solaires ou de végétalisation sur toitures,
- L’insertion de mesures facilitatrices pour la chaleur renouvelable – sur lesquelles le projet de loi initial du Gouvernement faisait l’impasse,
- La facilitation de l’autoconsommation individuelle et collective, y compris en relevant certains avantages fiscaux pour les particuliers installation du solaire en autoconsommation,
- La possibilité pour les acheteurs publics soumis aux règles de la commande publique de pouvoir nouer des contrats d’approvisionnement long terme,
- La planification de l’éolien en mer et de nombreuses dispositions pour adapter le droit aux nouveaux objets et opérations maritimes liées aux parcs éolien offshore (ex : statut des marins opérant à la maintenance, pavillon des bateaux, régime juridique applicable aux éoliennes flottantes qui ne sont pas des navires mais pas non plus des îles…),
- La modification de nombreuses législations pour les adapter aux spécificités des projets hydrogènes/gaz renouvelables,
- Le jugement des contentieux concernant la méthanisation directement en cour d’appel.
Ces mesures peuvent paraître techniques, ce qu’elles sont pour la plupart ; mais, cette technicité va de pair avec l’efficacité car en matière de simplification, le diable se cache souvent dans les détails.
Les mesures manquantes :
Si le projet de loi prévoit la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) pour les projets d’énergies renouvelables de forte puissance, il semble impératif que cette caractérisation concerne tous les projets, y compris les plus petits, car selon l’adage, les « petits ruisseaux font les grandes rivières ». Par ailleurs, cette application aux petits projets serait conforme au projet de règlement d’urgence que devrait présenter la commission européenne visant à présumer les ENR d’intérêt public supérieur.
Autre sujet très peu évoqué dans le projet de loi à ce stade : les procédures applicables au renouvellement d’installation renouvelables. Les premiers parcs éoliens arrivent en effet en fin de vie et ce sera le cas des parcs solaires dans quelques années. Si le renouvellement d’un parc est en général plus simple (beaucoup de données accumulées, meilleure acceptabilité, etc.) le renouvellement d’un parc est aujourd’hui traité comme un nouveau dossier. S’il semble compliqué de mettre en place un processus d’instruction simplifié spécifique aux renouvellements, il serait possible de prévoir des délais d’instruction réduit (par exemple divisé par deux) en s’appuyant sur le fait que les données accumulées sont importantes.
Enfin, malgré les progrès en termes de cadrage des délais d’instruction insérés par le Sénat, aucun délai n’est assorti de sanction et il est donc probable qu’ils ne soient pas respectés sur le terrain. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une mesure législative à insérer dans le texte, une annonce concomitante du Gouvernement pour renforcer les effectifs des services instructeurs, (DREAL, DDT, mais aussi commissaires enquêteurs, juges, etc) aurait un effet positif fort, car le manque d’effectifs dans les administrations est aujourd’hui un goulot d’étranglement avéré.
Les mesures de décélération des énergies renouvelables
Tout d’abord un cheval de Troie a failli été introduit[1] : l’avis conforme du maire pour tout projet de parc éolien, de centrale solaire photovoltaïque ou d’unité de méthanisation. Doublé pour l’éolien d’un avis conforme des communes riveraines.
A première vue, cet avis conforme semble inoffensif, voire relèverait du bon sens. Pourtant, il est doublement problématique : d’une part concrètement, il conduirait à entraver le développement de ces formes d’énergie sans pour autant revivifier la démocratie locale ; d’autre part, il représente une négation du caractère d’intérêt public majeur des énergies renouvelables confirmé par ailleurs par le projet de loipuisque tout maire, pour des considérations locales, peut refuser un projet d’intérêt public. Y ajouter un droit de véto des communes avoisinantes condamnerait définitivement ces projets en sacrifiant sur l’autel de rivalités locales des sources propres de production d’énergie.
Pour faire un parallèle avec d’autres infrastructures d’intérêt public, combien de routes nationales, d’autoroutes, de ligne de chemin de fer, de pylônes télécoms pourraient être construits si chaque maire avait un pouvoir de véto ?
La politique énergétique suppose une vision nationale, avec des règles claires, strictes, une analyse neutre et objective de la qualité des projets ainsi que de de leur compatibilité des projets avec d’autres intérêts publics (paysage, environnement, tourisme, Armée…). C’est la raison pour laquelle ce sont aujourd’hui les préfets qui délivrent ou refusent les projets d’énergies renouvelables
Comment garantir l’atteinte de l’objectif national, c’est-à-dire notre capacité à avoir de l’énergie en quantité suffisante et à prix abordable, si chaque projet peut être bloqué localement ?
Deuxièmement une disposition imposant de reculer l’éolien en mer à plus de 40 km des côtes a failli être introduite[2]. Une telle disposition aurait conduit à réduire drastiquement la trajectoire d’éolien en mer, alors qu’il s’agit à horizon 2050 d’une filière majeure pour le mix électrique (environ 20%). Un éloignement minimal de 40km signifierait en effet aucun nouveau projet dans la Manche (conflit avec le rail de navigation de tous les navires marchands) et une réduction majeure des projets en Bretagne et en mer méditerranée du fait de la complexification accrue des projets (présence de canyon en mer méditerranée, faisabilité et coût des ancrages au large de la Bretagne). Si cette disposition a peu de probabilités d’être réintroduite à l’identique à l’Assemblée nationale, elle traduit le soutien d’une partie de la classe politique aux arguments du conflit d’usage entre éolien, pêche et tourisme et pourrait être remplacée par une disposition compliquant l’installation de projet d’éolien en mer ou allongeant leur gestation via un allongement des (déjà longues) procédures de concertation et de planification.
Troisièmement, une disposition de planification territoriale a été introduite qui risque de donner un pouvoir de veto indirect aux maires. Il s’agit de la capacité des EPCI, via les schémas de cohérence territoriale (Scot) à définir des zones propices aux projets ENR, zones propices sur lesquelles chaque maire concerné sera amené à donner ensuite un avis. Si l’intention paraît louable, cette disposition pose de nombreux problèmes :
- Elle risque de rendre impossible ou compliqué tout projet hors de ces zones propices, donnant de manière indirecte un pouvoir de veto aux élus locaux. Cette mesure sur les zones propices n’est en l’état pas rattachée au processus d’autorisation. Que feront les services instructeurs des DREAL et du préfet face à un projet développé en dehors d’une zone propice ? Que décidera le juge en cas de contentieux ? L’exemple passée des ZDE – zones de développement de l’éolien – a montré la grande difficulté à développer des projets en dehors de ces zones.
- Elle risque de retarder le développement des projets. Il faudra en effet plusieurs années avant que ces zones propices soient définies ; d’ici là, les oppositions et les services instructeurs pourraient vouloir ralentir l’instruction des projets, dans l’attente de savoir si ceux qui se trouveront ou non en zone propice. Ce ralentissement a été constaté de manière systématique à chaque changement de procédures et notamment lors de la création des « Zone de développement éolien » durant la décennie précédente.
- Elle met les projets ENR en risque d’alternance politique locale. Que se passera t-il si un projet commence à être développé en zone propice puis qu’à la faveur d’une alternance politique locale, l’EPCI déclasse la zone durant le développement ?
- Cette mesure de « planification territoriale » n’est pas articulée avec l’ensemble des mesures déjà existante de planification (SRCAE, PCAET, PPE et pour chaque projet : enquête ou débat publique, réunions de concertations à l’initiative du porteur de projet, avis des maires sur les projets au moment de l’étude d’impact[3], etc). Elle se rajoute avec le risque certain d’allonger les délais ; de poser des problèmes d’articulation
Le débat à l’Assemblée nationale sera déterminant. Ce projet de loi peut constituer un progrès et participer pleinement à la matérialisation du discours de Belfort et ses 4 piliers : sobriété, énergies renouvelables, nucléaire et électrification des usages. Mais il peut aussi aboutir à un projet de loi de décélération des énergies renouvelables, ce qui constituerait un contresens face à la crise énergétique actuelle, et exposerait notre pays à un risque de pénurie énergétique à horizon 2050.
Contact : contact@lunionfaitleclimat.fr
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[1] Il a été adopté en commission puis supprimé en séance publique
[2] La disposition a été adoptée en commission puis supprimée en séance publique
[3] Les maires disposent également de la possibilité, introduite par la loi 3DS d’émettre un avis sur le résumé non technique de l’étude d’impact que les porteurs de projets doivent leur transmettre en amont du projet avis des maires