Par Catherine Jagu, Présidente UFLC
Les principes
Profondément Européens, démocrates et humanistes, nous souhaitons une transition écologique qui permette à chacun d’être protégé contre les conséquences économiques et sociales des crises écologiques en cours, tout en faisant en sorte d’éviter les situations ingérables pour les générations futures.
L’Europe a démontré qu’elle était capable d’accélérer drastiquement avec le COVID sans perdre de vue ses objectifs et tout en maintenant un fonctionnement démocratique. Rester unis devant l’adversité et poursuivre une démarche de progrès et de paix dans un monde où les passions se déchaînent n’est pas une mince affaire. Il faut non seulement accélérer encore sur les enjeux de climat et de biodiversité, mais il le faut aussi sur l’adaptation sociale et économique à tous les niveaux. C’est à cette condition que chacun trouvera sa place dans la nouvelle société européenne respectueuse de la planète et des êtres humains qui la peuplent.
Beaucoup d’avancées ont été votées par le parlement de Bruxelles et publiées au Journal Officiel de l’Union Européenne sans que cela n’atteigne déjà le quotidien de chaque européen. C’est maintenant le moment de vérité, le passage dans la vraie vie qui doit être une réussite concrète pour nos concitoyens.
Le climat
La plupart des textes visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre en Europe sont votés ou en voie de l’être. Des horizons clairs sont donnés pour les transports individuels qui sont la source la plus difficile à réduire à la fois sur le plan psychologique et économique. Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières est une première pierre très pertinente pour pousser les pays dont nous consommons les produits à mettre en œuvre leur propre décarbonation.
Sur le terrain, les effets de ces politiques sont encore trop peu perceptibles. Cela laisse la porte ouverte à des retours en arrière préjudiciables ou à des discours fallacieux et/ou populistes. La question de la mise en œuvre efficace et juste de la politique visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, le Green Deal, est au cœur de notre futur européen alors même qu’elle dépend en réalité des états membres. Seule la réussite de cette première phase rendra crédible le travail sur les objectifs 2040.
Deux thèmes fondamentaux devront être rapidement abordés et traités :
- L’adaptation au changement climatique pour prendre en compte les aléas physiques existants et prévus : canicules, sécheresses et inondations principalement. Cela peut être un levier d’adhésion fort auprès des agriculteurs comme des citoyens qui sont parfaitement conscients de ce qui se passe.
- L’adaptation des métiers et des secteurs économiques à la fois à une société bas carbone et à un climat irrémédiablement changé : si de nombreuses études sérieuses existent, aucune politique d’amortisseur social des transitions n’a vu le jour que ce soit au niveau territorial (par exemple en montagne), au niveau sectoriel (par exemple dans l’automobile) ou au niveau individuel.
La biodiversité
L’existence de réglementations anciennes (directive habitat, directive oiseaux) n’a pas empêché l’Europe de détruire en grande partie sa biodiversité et de se retrouver avec des sols « morts », des cours d’eau pollués et des forêts affaiblies. Un effort notable a été lancé en vue de la restauration de la biodiversité ces 5 dernières années, mais il va à l’encontre de l’ensemble des mesures prises depuis plus de 40 ans et des habitudes culturelles qui se sont installées. Il n’y a donc toujours pas de stratégie d’ensemble cohérente et efficace sur le sujet. Le Green Deal a échoué à aller plus loin sur la restauration de la biodiversité et transformer le modèle agricole notamment vis-à-vis des pesticides.
Sur le terrain, les intérêts particuliers prennent le dessus, qu’il s’agisse de la chasse, de l’agriculture industrielle, de l’industrie chimique ou de l’addiction au béton des décideurs. La méconnaissance des sciences du vivant et des services écosystémiques apportés par la nature fait le reste pour empêcher toute action d’ampleur structurée. La culture du déni finit de saper toute initiative un tant soit peu cohérente : déni sur la disparition de la faune et de la flore, déni sur l’empoisonnement et l’épuisement des sols, des eaux et de l’air, déni sur l’empoisonnement du corps humain.
C’est certainement dans ce domaine que les contradictions des uns et des autres se font le plus sentir alors que c’est à la fois une question de souveraineté et de survie pour nous, Européens.
Deux axes clés permettraient de renverser profondément la donne s’ils étaient mis en œuvre avec force et détermination :
- La réduction drastique de l’usage des produits chimiques dans les productions alimentaires de la ferme à la fourchette (principe de précaution) et l’encouragement économique vers une agriculture régénérative,
- La protection réelle de la faune et de la flore dans des espaces préservés de toutes les activités économiques et de la chasse ou de la pêche associée à la restauration des milieux dans des zones européennes clairement identifiées.
Le courage politique consistera à ne plus soutenir les modèles économiques fondés sur la destruction ou l’empoisonnement des sols, des eaux, de l’air, de la faune, de la flore et des êtres humains : en Europe (exemple REACH, CLP renforcés) comme hors d’Europe (arrêt des importations de produits issus de cet empoisonnement). Cela nécessite un accompagnement économique et social fort et bien ciblé.
L’Économie circulaire
De nombreux textes ont été votés qui vont permettre de développer l’ensemble des dimensions de l’économie circulaire, en particulier concernant la prolongation de la durée de vie des produits, grâce à la réparation et la réutilisation. Cette avancée est majeure : nous sommes passés de la gestion passive des déchets, à leur recyclage puis à leur prévention grâce à tout un panel de mesures facilitant la prolongation de l’usage des produits.
Les effets de cette dynamique permettront non seulement de renforcer la souveraineté européenne (baisse des importations et de la dépendance matière), mais aussi de réduire l’empreinte environnementale de nos consommations : sobriété matière, sobriété énergétique, sobriété déchets, …
Au quotidien, certains effets se font déjà sentir auprès du grand public même s’ils ne sont pas toujours associés à l’Europe : suppression des plastiques à usage unique, tri sélectif lié aux filières REP, recyclage, etc. Ils répondent à une attente réelle des citoyens qui sont prêts pour la réparation, le reconditionnement, le rétrofit, …L’attrait économique de l’économie circulaire est une évidence pour les citoyens aussi bien côté consommation que production.
Ce sont ces axes qu’il faut poursuivre et accélérer en faisant connaître la valeur ajoutée de l’Europe : l’écoconception des produits durables, ce sont des produits de meilleure qualité, plus durables et un marché de seconde main accessible.
L’Equité écologique
Des avancées très importantes ont été faites concernant les entreprises et la part qu’elles devraient prendre dans la transition écologique. Cela va de la conception et la mise sur le marché de produits durables aux nouvelles obligations de reporting de durabilité. Ces progrès sont issus d’un processus dont les prémisses remontent aux années 2000. Cela répond au ressenti de certains citoyens qui avaient le sentiment d’être les seuls à qui on demande des efforts. Ils devraient bénéficier à la fois de produits mis sur le marché plus responsables et de l’accès à l’information sur les dimensions environnementales, sociales et de gouvernance des entreprises.
Le sujet du devoir de vigilance qui devait parachever la responsabilisation des entreprises concernant leurs impacts sur les êtres humains et la planète s’est malheureusement enlisé même si plusieurs pays européens l’ont mis en place à la suite de la France.
Pourtant, au quotidien, le sentiment d’injustice explose. Certes, il est confirmé que ce sont les plus pauvres qui vivent dans des logements mal isolés, dans des zones polluées et qui sont condamnés à se nourrir d’aliments de mauvaise qualité. Ce sentiment concerne beaucoup d’autres personnes : il repose et se trouve renforcé par des écarts de perception et des discours fallacieux. Par exemple, les mesures pour la qualité de l’air ne sont pas identifiées comme visant à sauver des vies, mais à « punir les braves gens ». A cela s’ajoute la question de l’exemplarité exigée à des degrés divers et variables de nos décideurs notamment politiques, des disparités difficilement justifiables aux yeux des électeurs et qui attisent les ressentiments.
Deux thèmes pourraient permettre d’avancer en démontrant que l’Europe agit au service de tous :
- La santé environnementale : depuis le covid, la santé est devenue un enjeu européen et l’Europe a démontré ses capacités. Développer le thème de la santé environnementale de façon plus précise et concrète permettrait d’aller plus loin sur des questions de protection des citoyens vis-à-vis de la pollution de l’air, de la pollution chimique ou des risques de maladies liées à la dégradation de la biodiversité.
- La qualité des rénovations du bâtiment : mettre en place un référentiel complètement adapté aux nécessités du changement climatique en matière de rénovation permettrait de mettre toute l’industrie du bâtiment au travail sur la rénovation dans des conditions de concurrence loyale. Cette rationalisation permettrait de baisser les coûts et de rendre accessibles pour tous les rénovations globales.
La Souveraineté écologique
La question de la souveraineté était quasiment un tabou en Europe jusqu’à l’apparition du Covid et au déclenchement de la guerre en Ukraine. A cette occasion, l’Europe a découvert qu’elle avait perdu sa souveraineté en matière de médicaments (fabriqués en Asie) et d’énergie (gaz russe).
Dans les deux cas, l’Europe du marché unique de Jacques Delors a su se transformer en une Europe plus politique, organisée, structurée, stratège, capable de mettre en place de façon créative les moyens de sa souveraineté.
Si la naïveté n’est plus de mise et si la course mondiale à la transition écologique est lancée sur le plan industriel, la nécessité de la souveraineté écologique n’est pas encore comprise par le grand public.
Notre continent bénéficiait d’un climat tempéré, de ressources hydriques, de terres suffisamment riches pour produire en abondance, de paysages multiples et attirant.
Conserver sa souveraineté écologique, c’est conserver cette abondance de services écosystémiques qui permettent une vie agréable, en bonne santé et la production de richesses matérielles et immatérielles. C’est éviter de vivre dans un désert par 50°C dans plus de la moitié de l’Europe.
Construire cette souveraineté écologique passe par deux axes : protéger et régénérer !
- Protéger tous les Européens contre les produits issus de la pollution, de la déforestation, contenant des substances dangereuses, ou issus d’atteintes aux droits humains : l’accès au marché européen doit être fermé pour ces produits et les entreprises qui les fournissent,
- Régénérer les territoires en construisant un nouveau modèle économique qui restaure les ressources qu’il ponctionne : agriculture régénérative, etc.
En cette année 2024 qui sera un moment charnière pour l’Europe, nous avons besoin d’accélérer la transition écologique au niveau européen avec plus de justice et d’équité, seule voie possible pour préserver à la fois notre souveraineté et notre qualité de vie.